7 millions d’habitants, une vie comme un roman d’aventure, des gratte-ciel de collection... Hong Kong mêle fortunes extravagantes, business à haut débit et pauvreté quotidienne. La neuvième puissance commerciale du monde, carrefour Orient-Occident à l’incroyable énergie, mène aussi grand train et la gastronomie, française en particulier, y a table ouverte. Un territoire de conquête pour chefs étoilés, à l’exemple de Fabrice Vulin et de Joël Robuchon.
Par Jacques Gantié
En ouverture : Fabrice Vulin et Joël Robuchon
FOUR SEASONS. Le nouveau défi de Fabrice Vulin
Four Seasons : grand écran sur Victoria Harbour
Fabrice Vulin : haut niveau et travail d’équipe à CapriceAvec plus de 10 000 restaurants et les meilleurs «dim sum» du monde, ces tapas de la cuisine cantonaise, Hong Kong est un territoire de haute compétition gastronomique. Le guide Michelin Hong Kong-Macao, qui vient de révéler son palmarès 2016 (1), en observe les changements et un rythme qui ne cesse de s’accélérer. Joël Robuchon, Pierre Gagnaire, Fabrice Vulin, Alain Ducasse, Akrame Benallal, Pierre Hermé ou encore l’italien de Bergame, Umberto Bombana, figurent parmi les acteurs de premier plan.
Au cœur du quartier de Central, adossé à l’International finance center, deuxième plus haute tour de la ville (416 mètres), le Four Seasons, 399 chambres et suites et premier chiffre d’affaires de la chaîne dans le monde, est l’une de ces places fortes. Au restaurant « Caprice », Fabrice Vulin, ex-chef du Château de la chèvre d’or à Eze-Village (2), a bouclé sa deuxième année à 2 étoiles, conforté, à l’égal de Pierre Gagnaire au Mandarin oriental et de Richard Ekkebus à « Amber », par la nouvelle édition du Michelin.
39 000 couverts par an
Le restaurant Caprice
La table privée du chefDans le plus élégant restaurant français de la ville, vue grand écran sur Victoria Harbour et Kowloon et cuisine ouverte à la voûte de cristal Swarovski, il séduit les hongkongais avec une cuisine française, à la fois contemporaine et de tradition, qu’il qualifie de « très proche de celle d’Éric Fréchon » et qui répond à sa feuille de route au Four Seasons. « Si la street food est indissociable de la cuisine locale, notre gastronomie reste la référence. C’est la signature et la thématique de « Caprice » où je travaille uniquement des produits français - 80 % plus chers que dans l’Hexagone - à quelques exceptions, comme l’oursin du Japon, ou les cuisses de grenouilles ».
Avec 39 000 couverts par an, le restaurant, complet midi et soir, accueille l’une des plus belles clientèles du monde. Et si Fabrice Vulin sert à sa table privée, au décor de cave à vins et fromages (ceux de l’Alsacien Bernard Antony et de la Mère Richard à Lyon), un menu à 300€ avec côtes de bœuf millésimées (les blondes d’Aquitaine du lorrain Alexandre Polmard), le ticket moyen n’excède pas 170€. « Nous sommes moins chers que les tables de palaces en France (3) mais comme les grands collectionneurs de vins sont à Hong Kong - ils apportent parfois les trésors de leurs caves personnelles ! - et comme nous vendons quasi quotidiennement des bouteilles à 30 000 €, l’addition s’envole vite ! ».
Le produit, la maîtrise
Huître Gillardeau et caviar Kristal
Filet de bœuf wagyu, panisse et mousseline artichaut
Tarte au chocolat et feuillantine crispy
Oursin et cœur de saumon fumé d’Écosse, crème au fenouil ; lièvre de la Beauce, selle sautée, clin d’œil « à la royale », Parmentier de céleri-rave ; filet de bœuf wagyu, panisse et mousseline artichaut ; brochet du Léman et vin jaune, enfin les desserts fins et ciselés (framboise reconstituée, tarte au chocolat et feuillantine crispy…) de Nicolas Lambert, formé au Plaza Athénée avec Christophe Michalak et à Cannes auprès de Jérôme de Oliveira, champion du monde de pâtisserie : le talent de Fabrice Vulin s’exprime dans une parfaite maîtrise des grands classiques de la cuisine française, la clarté du produit, l’exactitude des cuissons. En salle, Sébastien Boudon, directeur du restaurant, et le chef sommelier Sébastien Allano, venus du George V, conduisent un jeune service de parfaite attention. « Caprice » est ainsi armé pour regagner la troisième étoile, retirée lors du départ pour Bangkok du chef précédent, Thierry Vincent. Patience : le temps du Michelin n’est pas toujours celui de Hong-Kong…
(1) L’édition 2016 compte six 3 étoiles, dont le Lung King Heen, restaurant de cuisine cantonaise du Four Seasons, seul restaurant chinois à ce niveau dans le monde, et quinze 2 étoiles. Michelin a également sélectionné 23 tables de street food.
2) Fabrice Vulin a été auparavant le chef d'Anne-Sophie Pic, puis du Parc des Eaux Vives à Genève et de Dar Ennassim à Marrakech.
(3) Menus 55€ (déjeuner) à 200€ (7 plats).JOËL ROBUCHON. Maître d’Asie
Joël Robuchon au Dôme : 12 étoiles en Asie… pour l’instant et David Alves, chef de L’atelier Robuchon : un talent fidèle
L’esprit Atelier : service au comptoir, transparence en cuisineJoël Robuchon est, on le sait, le chef le plus étoilé du monde. Avec 27 macarons au guide Michelin, le bilan, très provisoire, est appelé à évoluer avec les ouvertures prochaines de ses « Ateliers » à Shanghaï en cette fin d’année, en attendant Montréal, New-York, Genève, Miami et Bombay. Dans cet empire, l’Asie est prépondérante (13 étoiles), de Tokyo, sa deuxième patrie, où ce fin connaisseur de la culture nippone a 7 restaurants, à Hong-Kong et Macao avec 3 macarons pour « L’atelier » (Hong-Kong), seul de cette collection à ce niveau, et « Robuchon au dôme » (Macao), tous deux confirmés dans le Michelin 2016 (1).
À Hong Kong, L’atelier ouvert en 2006 est fidèle au concept créé trois ans plus tôt rue Montalembert à Paris : même dominante rouge et noir, comptoir encerclant la cuisine, atmosphère feutrée, cave vitrée aux mille bouteilles, mais aussi salons privés et terrasse. Une convivialité discrète et stylée pour clientèle exigeante. Dans ce contexte, depuis treize ans dans la galaxie Robuchon, David Alves - caviar de Sologne sur araignée de mer et infusion de corail anisée, noix de Saint-Jacques remarquable de finesse, curry vert et coriandre, farfalle à l’encre de seiche ou encore le riz façon risotto safrané, piments, couscous de crucifères aux herbes glacées - traduit avec justesse la « philosophie Atelier » : légèreté, précision, maîtrise du produit.
Le caviar de Sologne, araignée de mer et infusion de corail anisée
La noix de Saint-Jacques, curry vert et coriandre, farfalle à l’encre de seiche
Le « risotto » safrané, piments et couscous de crucifères aux herbes glacées
Une cave d’exception
Du grand art sous la coupole du Grand LisboaÀ Macao, où Alain Ducasse est attendu et où un casino, au design signé Karl Lagerfeld, doit ouvrir en 2017, Joël Robuchon est maître du jeu au sommet du Grand Lisboa, hôtel-casino en forme de feuille de lotus et 260 mètres d’or et de kitch, propriété du milliardaire Stanley Ho. Au 43e étage, coupole à la Gotham city, lustre-cascade, piano de collection et vue par dessus néons et casinos, on goûte ce qui se fait de mieux dans son répertoire, traduit par Julien Tangourian. Quelques grands moments avec le caviar de Sologne, tartare de saumon et pousses de shiso, la truffe d’Alba et pommes roseval façon carpaccio aux copeaux de foie gras fumé, l’amadaï - poisson japonais - écailles croustillantes, artichauts épineux et jus barigoule, une fondante pièce de bœuf Kagoshima grillée, fondue d’échalotes grises confites au vieux vin, pigeon de Racan rôti en aiguillettes, gnocchis de potiron et châtaignes ou encore une forêt noire comme un champignon à la griottine, cœur de chocolat au kirsch. Une leçon de rigueur, de saveurs et d’esthétique et une cave unique au monde (plus de 16 000 références !) dont la carte est à lire jusqu’au bout de la nuit ou, mieux, à consulter sur tablette…
Cette déclinaison asiatique éclaire enfin le projet du chef français d’ouvrir fin 2017 un Institut international de formation qui accueillera 1 500 élèves par an à Montmorillon, près de Poitiers, et financé pour 65 millions d'euros par un pool d’investisseurs chinois. L’ultime connexion Orient-Occident de Robuchon, maître d’Asie.
Truffe blanche d’Alba et pommes roseval façon carpaccio, copeaux de foie gras fumé
Pièce de bœuf Kagoshima grillée, fondue d’échalotes grises confites au vieux vin
Pigeon de Racan rôti, gnocchis de potiron et châtaignes
Forêt noire comme un champignon à la griottine
Une carte aux trésors de plus de 16 000 références
(1) L’Atelier, environ 98€ à 250€ (dîner- http://www.robuchon.hk
Robuchon au dôme, menu prestige 350€. http://www.grandlisboahotel.com
(photos Jacques Gantié et X)
Publié le 7 décembre 2015